Bonjour, je voudrais à ma manière rendre un petit hommage à mon ami Jacques Passenaud. Ce jour là, en tête à tête, lui et moi devisions agréablement en marge de la regrettée Locomotion en fête. Il me parlait justement de son GDR, camion auquel il vouait une affection toute particulière ; il n’était d’ailleurs pas le seul, à en juger par les enchères que ce véhicule a suscitées le 30 septembre dernier.

Sur le moment, cette allusion m’a rappelé un autre GDR dont le souvenir constituait pour moi une énigme, et je lui contais l’anecdote : c’était je crois en 1962 ou 1963, je travaillais pendant les vacances (âge minimum du travail 14 ans) et j’avais en charge le service des livraisons de la carrière dont mon père était le directeur. Ce jour-là, je vois arriver au chargement un véhicule devenu aussi rare qu’exceptionnel, un Berliet de ce type, visiblement tout neuf alors que, matériellement, il était sorti d’usine depuis au moins une quinzaine d’années. Tout était neuf dans son aspect à l’exception d’une peinture grise quelque peu ternie. Hormis cela, aucune éraflure, aucune bosse même minime, un bruit de moteur particulièrement feutré pour l’époque, des pneus neufs, une cabine immaculée, etc. Ce camion ne pouvait être que neuf mais le galopin que j’étais alors n’a pas osé poser de questions…

Le seul renseignement que j’ai pu avoir, car il fallait bien facturer les agrégats, c’est qu’il appartenait aux Ets Brillaud de Bayeux qui étaient ferrailleurs. À ces mots, les yeux de Jacques se sont illuminés et il m’a apporté la solution d’un problème qui me rongeait depuis un demi-siècle ! En effet, ces Brillaud sont des cousins des Passenaud. Voici toute l’histoire telle qu’il me l’a contée : au lendemain de la Libération, Berliet tente de relancer ses fabrications mais tout lui manque, notamment l’acier. L’usine charge alors ses collaborateurs de démarcher les dépôts de fer-raille, et principalement ceux qui sont proches des plages du débarquement. C’est ainsi que la maison Brillaud est approchée. Entre épaves de voitures, de camions, de matériels agricoles, de charpentes métalliques vrillées, d’avions en mille morceaux, de bateaux, de sous marins et de blindés, elle possède en quantité toute la marchandise nécessaire. Cependant, pour le paiement, M.  Brillaud exige un troc. En effet, il faut se rappeler qu’à l’époque, les achats de camions neufs sont contingentés et qu’ils nécessitent la production de « bons d’équivalent matière » qui sont délivrés par le gouvernement. Cet échange de bons procédés permet donc au ferrailleur de contourner les restrictions. La suite ne sera pas aussi simple car, outre les bons d’acier, il est également nécessaire de produire leur équivalent pour le caoutchouc et là, c’est l’échec…

Comme tous les camions neufs livrés à cette époque, les trois Berliet concernés seront donc dépourvus de pneumatiques, chaque utilisateur ayant la charge de se les procurer. Ces trois véhicules seront donc stockés à l’abri en attendant des jours meilleurs. À cette époque, il aurait d’ailleurs été inconvenant d’exhiber des poids lourds neufs dans le cadre d’une activité aussi peu reluisante, alors que les transporteurs manquaient cruellement de bon matériel pour effectuer des tâches beaucoup plus nobles en longue distance…

C’est ainsi que, quinze ans plus tard, les trois camions se trouvaient toujours abrités et sur cales, lorsque la décision fut prise de les exploiter, et c’était probablement la première sortie de ce GDR, lorsque nos chemins se sont croisés !

Alain Riou

Réponse : Il y avait de quoi être étonné, effectivement.

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